Quand l'IA s'invite en communication : révolution ou régression pour l'authenticité ?
Dans le monde effréné de la communication moderne, un nouveau visage fait parler de lui : celui d'Anne Kerdi, l'ambassadrice virtuelle de la Bretagne, pilotée par une intelligence artificielle. Présentée comme "profondément humaine dans sa posture et ses engagements", cette initiative soulève une question fondamentale : l'IA peut-elle coexister avec l'authenticité et la responsabilité en communication, ou sommes-nous en train de franchir une ligne rouge dangereuse ?
L'engouement pour l'IA :
entre promesse de "réinvention" et dérives potentielles
L'arrivée de l'IA dans la communication est souvent saluée comme une véritable "réinvention". On nous promet une efficacité accrue, une personnalisation sans précédent et une capacité à atteindre des publics que l'humain seul ne pourrait cibler. Imaginez des campagnes de communication hyper-ciblées, des interactions en temps réel, et la possibilité de générer du contenu à une vitesse fulgurante. Sur le papier, c'est séduisant. L'article de TGS France et le podcast sur Anne Kerdi illustrent bien cette volonté de dynamiser la promotion territoriale grâce à des technologies de pointe. L'idée est de créer un lien fort avec le territoire, d'engager, voire de susciter l'attachement.
Mais à quel prix ?
Le cas d'Anne Kerdi, une IA "engagée auprès d’associations environnementales" et porte-parole d'une région aux racines profondes, soulève des questions éthiques majeures. Une IA peut-elle réellement être "engagée" ? L'engagement suppose une conscience, une capacité à ressentir, à vivre des expériences. Comment une entité artificielle, dépourvue de vécu humain, peut-elle incarner la richesse culturelle, émotionnelle et historique d'un territoire comme la Bretagne ?
La communication responsable face au miroir de l'IA
La communication responsable repose sur des piliers fondamentaux : la transparence, l'authenticité, le respect du public et des valeurs qu'elle promeut. C'est elle qui construit la confiance et crée un lien durable. Mais où se situe la responsabilité quand la "personne" qui prend la parole n'existe pas ?
• Authenticité vs. artificialité : l'authenticité est au cœur de la communication territoriale. Confier cette mission à une IA soulève la question : peut-on véritablement transmettre l'âme d'un territoire sans l'expérience humaine ? Une histoire racontée par quelqu'un qui ne l'a jamais vécue aura-t-elle le même impact ? Ce besoin de déléguer la communication à un personnage artificiel, surtout quand on parle d’attachement au territoire, d’émotions, de culture locale, me semble paradoxal.
• Engagements virtuels, impact réel ? attribuer des engagements environnementaux ou culturels à une entité artificielle peut sembler absurde. Une IA engagée auprès d’associations environnementales ? Oui oui, vraiment. L'engagement suppose une conscience et une capacité à ressentir, ce qui n'est pas le cas d'une IA. C'est de la fiction augmentée, mais sûrement pas du sens.
• Transparence et perception : bien que le projet soit transparent sur la nature artificielle d'Anne Kerdi, il est essentiel de considérer comment le public perçoit et interprète cette communication. La frontière entre réalité et fiction peut devenir floue, et le risque est grand de créer un sentiment de déconnexion, voire de manipulation.
L'apparence d'Anne Kerdi : un reflet de nos biais ?
Au-delà des questions d'authenticité, l'apparence même d'Anne Kerdi, décrite comme une jeune femme de 25 ans, "blonde, solaire et dynamique", interroge. Créée par Sébastien K., cette image correspond aux standards esthétiques fréquemment utilisés dans les médias et la publicité, souvent critiqués pour leur manque de diversité et leur tendance à sexualiser les figures féminines. Ce choix, justifié par des raisons "techniques" selon son créateur, semble davantage refléter une construction idéalisée qu'une représentation authentique et inclusive de la diversité des Bretonnes.
En tant que communicant·es engagé·es dans une démarche responsable, il est essentiel de questionner ces choix. La création de personnages virtuels offre une opportunité unique de repenser les standards esthétiques et de refléter la diversité réelle des individus qu'ils sont censés représenter, et non de renforcer des stéréotypes.
L'empreinte écologique des IA : une question éludée
Le podcast sur Anne Kerdi a également soulevé une autre interrogation majeure : l'impact écologique de la création et de l'entretien de telles IA. Minimiser l'empreinte carbone "sans source, sans chiffres, juste parce que bon, “c’est sûrement moins que ce que vous imaginez” est irresponsable. Surtout quand l'IA est censée promouvoir des engagements environnementaux. La communication responsable ne peut faire l'impasse sur l'impact environnemental de ses propres outils.
L'IA : un outil au service de l'humain, ou son remplaçant ?
L'IA est un outil puissant, capable de transformer de nombreux secteurs, y compris la communication. Mais comme tout outil, son usage doit être réfléchi, éthique et guidé par des valeurs humaines. Confier la promotion d'un territoire à une entité qui n'a jamais mis les pieds là-bas, qui ne vit rien, et qui se contente de "rayonner depuis un studio parisien", est-ce vraiment "réinventer la communication responsable" ?
Pour beaucoup de communicant·es qui s'efforcent chaque jour de remettre du sens, de l'humain et de l'authenticité dans leur métier, ce genre d'initiatives peut sembler décrédibilisant. L'IA ne devrait pas être un prétexte pour une communication vide de sens, mais un levier pour amplifier l'impact positif et authentique des messages. Le vrai défi est de l'intégrer de manière à ce qu'elle augmente, et non qu'elle diminue, la valeur humaine et l'authenticité de nos interactions.
Besoin de te faire accompagner pour une communication plus responsable ?